« Ulysse, souviens-toi ! »
Un film de Guy Maddin
"Keyhole" - 2011 - n&b - 1h34 - Canada
Sortie en salles : 22 février 2012
BONUS : 2 courts-métrages de Guy Maddin ("Glorious" et "Send Me To The 'Lectric Chair")
"F'Hole" : court-métrage d'Eric Perlman sur la musique du film
Introduction au film par Guy Maddin
Interview de Guy Maddin
Entretien entre Guy Maddin et le GNCR (Groupement National des Cinémas de Recherche)
Galerie de collages ayant inspirés l'univers du film
Voir en VOD
universcine.comAvec Jason Patric, Isabella Rossellini, Udo Kier
BERLINALE 2012 – Sélection Officielle
Ulysse Pick est le chef autoritaire d’une bande de gangsters et un chef de famille négligent. Après une longue absence, il rentre enfin chez lui. Chez lui… Une maison qu’il ne reconnaît plus, une maison hantée par les fantômes du passé. Chaque recoin cache un secret dont il cherche la clé et il sent qu’il lui faut entreprendre une véritable odyssée au plus profond de ses souvenirs en parcourant la maison pièce par pièce.
Mais cette odyssée, pleine d’espoir, n’est peut-être que le rêve qui hante Manners chaque nuit, ou le rêve qu’il aurait tant aimé que son père fasse…
La presse
L’annonce du retour de Guy Maddin fait saliver les cinéphiles, qui ne seront pas déçus ! Le résultat ressemble à un polar onirique écrit par Lynch, et tourné par Eisenstein découvrant la caméra numérique.
Le Nouvel Observateur
Le film est un fantasme, une enquête au cœur des souvenirs et des pulsions, terres peu explorées au cinéma de genre. Le cinéaste a pris le plus grand plaisir à jongler en détournant ces formes (policier, fantastique, horreur). Et avec brio !
L’Humanité
C’est la première fois que Maddin s’aventure sur le territoire du film noir. Cette modification est stimulante parce qu’elle indique que le réalisateur canadien, qui travaille en dehors du système habituel de production, est prêt à s’aventurer sur un territoire plus familier pour le public pour ne plus seulement troubler mais aussi susciter des émotions plus primaires – la peur, la colère, le désir.
Le Monde
Le dernier film du créateur de Winnipeg crée d’emblée la surprise : le Canadien délaisse l’hommage au muet et s’attaque avec délectation, pour son premier tournage en numérique, aux codes du film de gangsters.
Les Cahiers du Cinéma
Dans « Ulysse, souviens-toi ! », on croise des fantômes de l’autre côté du miroir, prisonniers dans des objets enchantés, portes fermées, revenants qui appellent depuis un temps parallèle.
Libération
Ulysse… n’a rien d’un film sinistre, car il s’y joue un grand plaisir du capharnaüm qui constitue un moteur d’étonnement constant.
Critikat
Chaque plan est d’une beauté sidérante et chaque parole, chaque répétition nous entraîne dans un autre monde. Se laisser porter sans jamais être stoppé par notre raison qui nous pousse à nous réveiller, voilà la seule manière de voir « Ulysse, souviens-toi ! ».
Ecran Large
Nous ne pouvons que vous conseiller ce pèlerinage unique et vaporeux, dont « Ulysse souviens-toi ! », avec sa narration plus accessible, constitue une entrée en douceur mais jamais dénuée d’intérêt et ne sombrant jamais dans le didactisme ou la suffisance.
1Kult
Guy Maddin, nourri d’auteurs qui lui ressemblent, formule une odyssée intérieure intelligente et surprenante, dans laquelle il est utile de savoir larguer les amarres pour accoster sur les berges folles de cet auteur intemporel.
Le Singe Hurleur
“Je me sens… survolté !” dit l’homme sur la chaise électrique. Un grand Guy Maddin vous fera cet effet – et ne vous y trompez pas, “Ulysse, souviens-toi !” fait partie de ses meilleurs films. L’association de fantômes mélodramatiques et de truands peu scrupuleux constitue le cadre d’une errance dans la mémoire à nulle autre pareille, qui fait éclater deux genres en un coup sec. Jason Patric est Homer-veilleux en Ulysse.
THE TORONTO STAR
Surréaliste, sensationnel et étrange, on retrouve dans ce film la magie pure de Maddin, qui demeure le cinéaste canadien le plus innovant, et celui qui prend le plus de risques.
TORONTO SUN
L’inimitable « Trésor National Canadien » connu sous le nom de Guy Maddin nous a livré, avec The Deep Blue Sea de Terence Davies, le meilleur film du festival de Toronto. “Ulysse, souviens-toi !” démarre comme un film de gangsters des années 40 et devient progressivement de plus en plus dérangé et hallucinatoire. C’est de loin son film le plus audacieux à ce jour.
Poursuivie par la police, une bande de truands se réfugie dans une maison hantée. Bien que le chef, Ulysse Pick, dévoile à ses acolytes que cette maison aux mille et un recoins est celle de son enfance, celle-ci est en réalité surtout l’intérieur de sa psyché torturée – et les fantômes qui la peuplent sont les souvenirs réfractés, les affaires qui n’ont pas été menées à leur terme et les démons non exorcisés d’Ulysse. Sa quête l’entraînera au plus profond de cet espace labyrinthique.
Cette aventure qui révèle la conscience à l’écran emmène Guy Maddin et Georges Toles, son co-scénariste de toujours, vers un tout nouveau niveau d’ambition, jusque dans les contrées lointaines du territoire de David Lynch. Ceux qui voient en Guy Maddin un pourvoyeur d’esthétique camp délirante seront des plus surpris, car cette fois il ne cherche pas nécessairement les rires.
FILM COMMENT – compte-rendu du festival de Toronto.[
Interview de Guy Maddin
On retrouve dans “Ulysse, souviens-toi !” beaucoup d’éléments présents dans vos films précédents, mais c’est en même temps une oeuvre très différente en termes d’esthétique et de narration.
Les avis peuvent diverger sur la question mais personnellement je ne pense pas avoir changé de style. J’ai simplement réalisé ce film comme il devait l’être. Je voulais travailler à partir des codes d’un genre. J’ai pensé aux films de gangsters, aux films de maisons hantées, et je me suis dit que les deux allaient bien ensemble. J’ai probablement rêvé de cette association, car je n’ai rien trouvé sur le sujet dans mes livres d’histoire. Le choix d’un genre hybride s’est fait très naturellement, d’autant plus qu’il incluait des fantômes, et que je me sens littéralement habité par mes propres fantômes. Je les aime tous, et ils me manqueraient s’ils venaient à disparaître. Vampyr de Carl Theodore Dreyer m’a aussi beaucoup apporté. C’est un film emblématique du genre “horreur”, mais c’est surtout un film abstrait et poétique, qui plonge le spectateur dans une errance en songe et s’attache à des émotions déstabilisantes et inconfortables.
Comment avez-vous rencontré Jason Patric ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler avec lui ?
J’ai rencontré Jason Patric en 2005, lors d’un petit festival qui projetait le film After Dark, My Sweet dans lequel il jouait. Je l’avais trouvé formidable en tant qu’acteur. Après la projection, nous sommes allés manger ensemble, et j’ai été frappé par son intelligence et la lucidité dont il faisait preuve sur sa carrière, ses aspirations, ses déceptions et ses joies. Il était à la fois touchant et fort, un vrai mâle dominant ! Je savais que je voulais travailler avec un comédien qui puisse incarner un homme fort, qui fasse avancer l’intrigue, sans tomber dans la caricature d’un personnage psychopathe – quelqu’un qui sache ce qu’il veut, même s’il ignore où il est et qui il est. Je voulais aussi qu’il ait une âme moderne, et que son histoire, aussi agitée que ses pensées les plus profondes, se lise sur son visage impassible.
Vous avez déjà collaboré avec Isabella Rossellini en 2004, sur “The Saddest Music in the World”, et en 2006, sur “Des trous dans la tête!”. Avez-vous tout de suite pensé à elle pour le rôle de Hyacinth dans “Ulysse, souviens-toi !” ?
Oui, nous avions écrit ce rôle pour Isabella. Je ne voyais personne d’autre le jouer. J’imaginais une femme belle, matérialiste, ne craignant pas de révéler l’étrangeté et la laideur de nos émotions. Isabella navigue à merveille entre élégance extérieure et laideur ou beauté passagère de notre vérité intérieure.
C’est votre premier film entièrement tourné en numérique. Comment cela a-t-il influé sur votre relation à la caméra, aux acteurs, ou sur la conception des décors… ?
C’est en effet mon premier film entièrement tourné en numérique, et c’était passionnant. Les caméras numériques sont de petite taille, comme les caméras Super 8 que j’ai l’habitude d’utiliser. Elles sont faciles à porter et permettent d’absorber les images tel un aspirateur à main. L’écran de contrôle grâce auquel on peut voir exactement ce que l’on filme est aussi très pratique. Fini les heures d’angoisse, à attendre que la pellicule revienne du labo ! Seule la direction artistique a dû être abordée différemment, du fait de la résolution HD. Les détails sont forcément plus visibles. Il faut savoir que le détail est l’ennemi des films à petits budgets comme les miens. Je me suis toujours sorti d’affaire en créant des décors bon marché et en utilisant le grain de l’image pour estomper le manque de détails. Pour ce film, je me devais d’être plus attentif aux détails, mais quand je n’obtenais pas un résultat satisfaisant, je devais en faire un choix artistique radical. J’aime cette impression d’entre-deux.
Pourquoi avoir choisi de reprendre une légende célèbre pour raconter l’histoire de votre héros ? Et pourquoi L’Odyssée ?
Ces légendes sont séculaires pour une simple et bonne raison : elles trouveront toujours écho en nous et auprès des lecteurs qui les découvriront un jour, tant elles sont intemporelles et bien construites. Maintenant que j’ai atteint les 50 ans, j’ai assez de recul pour me rendre compte que le décès de mon père, à mes 21 ans, a constitué un moment clé de ma vie émotionnelle. Tel un diapason, sa mort a donné le ton de ma vie créative, de mes rêves. Je rêvais souvent de mon père, mais vivant. Il n’était pas mort, il nous avait abandonnés. J’ai entretenu une relation onirique avec ce qu’on appelle “un père défaillant à son obligation alimentaire”, un homme qui abandonne ses enfants pendant plus de trente ans. Dans mon sommeil, je le suppliais de rentrer à la maison, de revenir auprès de son fils et de son épouse à qui il manquait terriblement. Mais dans ces rêves récurrents, il ne restait jamais plus d’une minute. Quand j’ai lu L’Odyssée, je me suis rendu compte qu’Homère racontait la même histoire, celle-là même que je vivais régulièrement en rêve. Son Ulysse n’a pas revu son épouse ni son fils depuis dix-neuf ans. Il fait tout pour rentrer chez lui, ou du moins, c’est ce que s’imaginent ses proches, mais personne ne sait s’il est encore en vie. Homère avait écrit ma biographie émotionnelle il y a des milliers d’années.
Quelle est la finalité de l’intrigue des gangsters ? Comment interagit-elle avec le récit principal ?
Les gangsters sont des hommes d’action, de danger. Je voulais que le personnage de mon père soit comme ça. Dans la vraie vie, il était fonctionnaire dans le hockey. Il était nécessaire de le rendre plus universel, afin qu’il soit identifiable par tous. Ce n’est pas pour autant un film sur mon père. Sa présence dans mon processus de création s’apparente plus à un diapason, quelque chose qui tiendrait la note avec laquelle viendraient s’harmoniser tous les éléments du film.
Dans Winnipeg mon amour, vous revenez dans votre ville natale pour explorer les lieux de votre enfance ; vous reconstituez certaines scènes de votre vie avec des acteurs interprétant votre famille ; vous ranimez les fantômes de votre passé. Y a-t-il un lien entre ces deux films ?
Je pense que les deux films répondent à un même besoin, cette envie irrésistible de retrouver mes fantômes, les personnes qui me manquent, celles que j’ai blessées, les objets égarés, le temps perdu… mais aussi à cette angoisse de ne pas avoir l’éternité devant soi pour pouvoir aimer infiniment des personnes et des choses !
Vous avez dit que le livre “La Poétique de l’espace” de Gaston Bachelard vous avait beaucoup inspiré pour “Ulysse, souviens-toi !”.
Ce petit livre est la plus belle étude sur la phénoménologie de l’espace intérieur. Il décrit ce que chaque pièce, chaque recoin, chaque armoire d’un espace habité peut signifier pour les personnes qui y vivent, les sentiments qu’ils font naître en eux, et les souvenirs – ou plutôt les fantômes – qu’ils leur évoquent. En le lisant, je me suis dit que ce serait extraordinaire que quelqu’un l’adapte au cinéma. C’est peut-être un projet voué à l’échec, mais qui vaut la peine d’être tenté. Une prochaine fois, qui sait ? Pour ce film, j’ai choisi de déconstruire la maison pour la reconstruire en m’aidant de la structure d’une histoire tombée dans le domaine public. L’architecture de ce type de narration permettra peut-être au spectateur de s’immerger dans les rêveries de Bachelard tout en y trouvant un écho personnel. Ce livre m’a insufflé son ardeur communicative tout au long du tournage de “Ulysse, souviens-toi !”. Il m’a plus envoûté que L’Odyssée, qui pourrait passer pour un film d’action face à l’intensité de la poétique de l’intérieur de Bachelard. Ainsi, j’ai réuni Homère et Bachelard, tout comme j’ai réuni des fantômes et des gangsters dans “Ulysse, souviens-toi !”. Ils composaient les couleurs d’un drapeau qui flottait au-dessus de mon bureau, une alliance inattendue agissant tel un baume au cœur.
Le père dans les films de Guy Maddin
Le père de Guy Maddin venait souvent visiter son fils en rêve après sa mort. Dans ces échappées imaginaires, il était en fait parti vivre avec une autre famille qui lui plaisait plus, mais revenait de temps en temps dans son premier foyer. Ces rêves ont fourni à Guy Maddin l’argument de son premier court-métrage, The Dead Father, où le fils finissait par manger ce père infidèle. C’était la seule solution qu’il avait trouvée pour le garder avec lui.
L’évocation du père est l’un des thèmes récurrents de l’oeuvre de Guy Maddin. Ce père est à l’origine d’émotions intenses, qui vont de l’idéalisation alors qu’il est absent jusqu’à la profonde déception quand il est présent parmi les siens.
Ainsi dans « Ulysse, souviens-toi ! », le père mort réapparaît tel un dieu ayant accompli un miracle. Il ramène vivante à son fils Manners ce qu’il a peut-être de plus précieux : son amie Denny morte noyée. Pourtant, cet acte ne fait qu’accentuer le sentiment d’abandon : si le père l’a ramenée, ce n’est sûrement pas pour son fils puisqu’il ne le reconnaît même pas, et qu’il va même jusqu’à déclarer devant lui à un autre de ses fils, adoptif qui plus est, qu’il est son préféré. Manners, bâillonné pendant toute la première partie du film, assiste impuissant au mépris que lui manifeste ce père tant aimé. Et comment pourrait-il en être autrement puisque ce père est mort et qu’il a, en mourant, failli à ses obligations de chef de famille. Cela étant vu d’une façon plus émotionnelle que rationnelle.
Pour la première fois, Guy Maddin aborde ses émotions de front. Même si, comme à l’accoutumée, l’expression prosaïque de la réalité person- nelle et singulière ne l’intéresse pas, et qu’il place son expérience au sein d’une histoire plus universelle, privilégiant l’authenticité des émotions à celle des faits. Mais il n’a cette fois-ci pas situé son histoire dans un monde imagi- naire. Ici, pas de conte, pas d’exubérance ni de décalage, pas de rires, mais un sentiment plus physique, plus sensuel. Les frontières sont toujours brouillées (passé/présent, rêve/réalité) mais il ne s’agit pas dans « Ulysse, souviens-toi ! » d’emmener le spectateur dans des fantasmagories lointaines ; au contraire, le film nous plonge au coeur de l’émotion humaine, dans ce qu’elle a de plus brut et de plus pur.
Le film finit exactement de la même manière que Careful ou Winnipeg mon amour. Le fils, dans la fièvre, retrouve le cocon familial, entouré d’une mère et d’un père aimants, dans un environnement rassurant (la grotte de Tolzbad ou le nid familial à Winnipeg). Guy Maddin y fait alors ressentir la douce et profonde sensation de protection que peut éprouver un enfant bordé dans son lit par une froide nuit d’hiver.