Louyre, notre vie tranquille
Un film de Andrew Kötting
Angleterre - 57 min - 2011 - couleur
Sortie en salles : 8 septembre 2011
Andrew Kötting réalise un film autour de son quotidien à Louyre dans les Pyrénées françaises, dans une vieille ferme abandonnée où chaque année il passe plusieurs mois avec sa femme et leur fille Eden. Eden, souffrant du syndrome de Joubert, est au centre du film. Elle dessine, chante, joue ; elle offre à penser, elle offre à ressentir.
Saison après saison, la vie entre l’effervescence, la tristesse. Kötting médite sur l’isolement, la nature parfois rude, l’absence bien sûr, et célèbre cette maison délabrée qui est pourtant un havre de paix pour toute la famille.
Un documentaire hautement personnel saturé d’émotions, un chant triste et beau, un “home movie” pour préserver ces moments.
Festival de Venise 2011 – Section Orrizonti
Texte de Iain Sinclair
Évoquant sa vie de famille dans sa retraite pyrénéenne, l’inclassable réalisateur britannique Andrew Kötting livre, avec “Louyre, notre vie tranquille” (This Our Still Life), un patchwork saisissant d’intensité lyrique et d’impressions libres.
Iain Sinclair – Sight & Sound
La magie et le mystère de cette œuvre de l’hyperactif Andrew Kötting résident dans la douce torture due à l’immobilité et au silence toujours recherchés mais intolérables, et que le réalisateur s’efforce donc de submerger et d’habiller de voix frénétiques, d’images d’archives, d’insectes, d’infusion continue de lumière et d’amour. Dans le paysage cinématographique, il n’y en pas deux comme lui.
Et c’est tant mieux, car l’énergie mise en mouvement par cette oscillation entre documentaire, performance et références mutilées met le spectateur dans les cordes, le laisse vidé d’émotions, les yeux imprégnés d’images chatoyantes et de sons impitoyables. Les émanations d’une fugacité toute concrète font notre bonheur, mais quand nous tentons de les retenir, elles ont déjà disparu. Retour sur les peintures au mur de la cabane, sur son étang de Walden bien à lui, sur M. et Mme Kötting parodiant l’American Gothic de Grant Wood.
“Gallivant” (1996) – virée en camping car autour de l’île britannique, test d’endurance de trois mois au cours desquels Kötting explore et célèbre son lien avec une grand-mère fougueuse et une fille à voix de pioupiou, Eden – m’avait totalement captivé. Depuis, j’ai suivi cet homme partout où il lui prenait l’envie d’aller.
Sur les traces du fantôme d’un père difficile, et de tous les souvenirs dérangeants qui s’y rattachent, aux quatre coins de la planète, pour l’installation/livre “In the Wake of a Deadad” : de la banlieue du sud de Londres aux îles Féroé, de Hollywood au Mexique. Avec ses frères obligeants, il a aussi traversé la Manche à la nage.
Kötting crée comme il respire, vite et fort : choses en boîte, cartes revues et corrigées, peintures, cartes postales, installations, diatribes, poèmes, “songs” débridés dans la tradition de Stan Brakhage – et récits filmés qui s’entrechoquent et se rétractent, peuplés de gargouilles fabuleuses et d’acrobates qui montent aux arbres. Dès qu’il le peut, il travaille avec Eden. Il veille sur elle depuis le tout début, touche sa langue pour stimuler la parole, pour contrecarrer l’effet “apathique” du syndrome de Joubert, qui définit l’existence de la jeune fille sans jamais la circonscrire.
“Louyre, notre vie tranquille” se tient à l’abri dans un refuge de montagne des Pyrénées, une maison blanchie à la chaux aux volets et fenêtres bleus, au cœur d’une dense forêt. C’est là qu’entre 1989 et 2010, Kötting a enregistré avec un appareil Samsung Digimax L85 et une caméra Super 8 Nizo, les fragments de vie quotidienne, les instantanés de méditation et les vues topographiques qu’il a assemblés ici en hommage aux lieux.
“Refuge” n’est peut-être pas le terme le plus approprié pour désigner cette ruine retapée, ancienne auberge sise sur une route de pèlerinage au milieu des montagnes, entre la France et l’Espagne ; un endroit qui aurait toute sa place dans “La Voie lactée” de Buñuel, ou pour des contrebandiers, ou encore pour le fantôme de Walter Benjamin tentant de fuir un pays occupé par les nazis.
Kötting s’y est délibérément exilé, pour ralentir un rythme de production effréné qui tient à distance une mélancolie en quelque sorte constitutive. Mais la tranquillité est impossible. La caméra furète en une interrogation névrotique pour animer l’image, à l’affût des rayons de soleil qui percent la fumée, des abeilles sur les arbres aux papillons, des rongeurs rongés par la pourriture, des serpents serpentant, des crapauds dans la main, des lézards sur le mur. Témoignage né de la tendresse, de l’intimité tissée avec cet endroit et son accumulation d’objets, “home movie” au sens le plus pur, c’est un retour à la forme la plus ancienne et la plus domestiquée du cinéma. Ces impétueux hasards sont un gage contre notre condition de mortels.
Le film s’ouvre sur un accéléré bourdonnant de putréfaction, la décomposition d’un petit animal indigène. Le murmure des insectes marque la cadence d’un langage trop rapide pour être aisément interprété. Dans ce magnifique paysage rocheux, la maladroite intervention humaine est absurde et vouée à l’échec, quand bien même est-elle accomplie avec un sens exquis de la comédie.
Seul Kötting pouvait se confronter à l’intensité lyrique de Brakhage, à ces fouilles à l’orée du cadre, avec le bredouillement bafouillant de “l’Anglitude” caricaturale de Benny Hill. Les drôles de voix. Les sous-titres chargés de culture et de présage. Les annonces en lettres majuscules des saisons qui passent, comme une parodie de Disney ou d’un documentaire sur la nature de David Attenborough, donnent le ton pour les instants convulsifs à venir. C’est là l’inventaire de tous les objets trouvés dans l’arche montagneuse de Kötting, sacrés et surnaturels. Des couleurs et des images si pleines, si mûres, qu’on peut humer le parfum des gouttes d’eau sur une feuille qui ploie.
Ces gens se présentent comme la première et la dernière famille d’humains. Une petite communauté de Robinson qui joue avec le plus grand sérieux à l’état de nature, avant de retourner d’où elle vient, avant qu’elle ne crapahute sur ce sentier montagneux dans des archives chevrotantes d’autrefois – quand Eden était bébé, quand sa mère souriait et se cachait de la caméra, ou quand elle était surprise, comme dans un journal intime primitif, en train de prendre son bain.
Le tout se fond dans une synesthésie compulsive, où projections et éclats picturaux se traduisent en taches sonores : karaoké bon enfant sur une chanson d’Elvis ou ensorcellement musico-lunatique du maître observateur Robin “Scanner” Rimbaud. “Le foyer,” a écrit le critique Gareth Evans en réaction à ce film, “en tant que chaleur et en tant que chez-soi, doit être radicalement repensé comme lieu premier de nos besoins et de notre quête d’appartenance.”
Le foyer de Kötting lui colle à la peau, un gros escargot blanc montré à sa fille pour la faire réagir. Le réalisateur farfouille au milieu des prairies de fleurs sauvages et des affleurements rocheux. La maison elle-même, ses rites journaliers enregistrés, dessinés, scribouillés, devient un écran pour la projection d’un spectacle. C’est du cinéma et de l’architecture. Les fenêtres éclairées forment un jeu d’ombres et de mouvements, tandis que le réalisateur/voyeur se replie dans la forêt.
Kötting a raconté cet endroit, Louyre, son envie d’y être seul pour prendre du recul, pour se calfeutrer dans l’obscurité. La maison vide est pleine de fantômes. De l’extérieur, il confirme que ce bercail retrouvé est bel et bien un théâtre de l’absence. Dans toute sa frénésie et sa farce, “Louyre, notre vie tranquille” fait naître une opposition entre l’inertie des objets posés sur une table pour être décrits et enregistrés, et l’espace immense et la prégnance de la roche, de la forêt, de la nuit.
De fait, ce n’est pas le portrait tranquille d’une famille qui jouerait, avec le respect et l’attention qu’il se doit, au retour à la terre. C’est leur mixture de souvenirs, leurs chansons estivales, leurs balades hivernales dans des bastions cathares en ruine. C’est l’œil immuable du poète, qui rappelle les sensations de Gary Snyder face au mont Saint Helens décrites dans le recueil “Danger on Peaks” (2004). “Un pas après l’autre, un souffle après l’autre – sans se presser, sans se blesser.”
Il y a donc le solitaire, l’homme au carnet-caméra, et la famille qui le soutient. Il y a la maison, abri temporaire, assemblage de fenêtres doucement éclairées, de souvenirs d’autres vies. Il y a les crêtes grises, les grottes, les sommets enneigés. Il y a ce moment extraordinaire où Kötting revient de l’une de ses expéditions nocturnes dans le songe de la forêt, et où il entend les voix de sa femme et de sa fille, retournées en toute sécurité en Angleterre. L’un des enregistrements s’est mis en marche. Réminiscences électroniques spontanées contre strates accumulées de silence montagnard.
Comme le dit Brakhage : “Nous avons d’abord affaire à la Lumière de la Nature, puis à la Nature de la Lumière. Et oubliez la science, je vous prie, car nous n’en avons pas besoin autrement que sous la forme qu’elle prend dans la caméra.” La dualité de l’exposition et de la saisie œil / esprit est à la source de ce projet : un père qui “dirige” sa fille en train de chanter ou de peindre. Père et fille qui apprennent, l’un de l’autre, pendant l’inventaire des objets, reliques et appareils ménagers de la maison.
Ceci est du cinéma à l’état pur, une œuvre de grande valeur en ces temps de stagnation culturelle et d’aventurisme économique. C’est la représentation analogique des ombres dans la caverne à l’ère du numérique. Et une page de plus dans le catalogue exubérant et toujours plus foisonnant de Kötting, l’autoportrait à plusieurs voix d’un artiste sans artifices, d’un ouvrier de l’art qui apprend à vivre dans la propre peinture de sa vie tranquille.
Texte de Sukhdev Sandhu
Sukhdev Sandhu – The Guardian
“Le chauffage central est mon pire ennemi,” affirme le réalisateur Andrew Kötting. “Je ne suis pas fan des double-vitrages. Ou du télé-achat. Ou des parfums sucrés. Le genre parfum d’ambiance, ça m’a toujours rendu malade.” Après une pause, il ajoute : “En fait, c’est souvent moi, mon pire ennemi. Les voix dans ma tête m’énervent, je veux les faire taire.”
De la part d’un autre réalisateur, ces propos pourraient sembler un peu trop corrosifs ou un peu trop dérangeants. De la part de Kötting, ils sont parfaitement normaux, presque rassurants. En 2001, il a créé un manifeste inspiré du Dogme95, la eArthouse Declaration of Spurious Intent [« déclaration art et essai d’intention fallacieuse »] qui, en plus d’exhorter “Tous les réalisateurs à avoir mis les bras ou les pieds dans un autre être doué de sensations, mort ou vif”, incite “[Tout] film à montrer des signes de folie furieuse ou de légère psychose, afin d’essayer de refléter la condition humaine”.
“Folle furieuse”, voilà un qualificatif qui sert souvent à décrire l’œuvre de Kötting. Ou encore “débordante”, “intense”, “viscérale”. Né en 1958 à Farnborough, dans le Kent, l’homme a façonné une carrière singulière entre art sonore, installations, théâtre d’avant-garde, courts métrages, livres d’artiste et longs métrages dont le caractère obstiné et à maint égards inclassable fait qu’il est souvent qualifié d’héritier de dissidents anglais tels Derek Jarman et Peter Greenaway.
Dans “Gallivant” (1996), il entreprenait un voyage sur la côte britannique avec sa grand-mère de 85 ans Gladys Morris et sa fille de 7 ans, Eden, atteinte du syndrome de Joubert, maladie incurable qui affecte le langage et l’équilibre. Sur la route, il a croisé des personnalités hétéroclites, dont deux vieux à Port Carlisle qui ont entamé la rengaine populaire “D’ye Ken John Peel?”, et un groupe de dames âgées qui faisaient un pèlerinage auprès d’un arbre à souhaits.
Portrait familial émouvant et sans concession de personnes qui ne devaient plus avoir longtemps à vivre, le film a été comparé aux documentaires de Patrick Keiller London (1994) et Robinson dans l’espace (1997). Cependant, alors que ces films se distinguent par leurs plans immobiles, leurs paysages désertés de toute vie humaine et leur critique acerbe d’un Royaume-Uni post-industriel, Kötting a eu recours à la prise de vues en accéléré, à une bande-son où règne l’échantillonnage musical et à l’auto-dérision afin de créer ce qu’il qualifie de “psychogéographie version syndrome de la Tourette” doublée d’une “ode à l’étrangeté railleuse, aux contradictions et aux anachronismes” de ce pays.
Les thèmes de la famille, de la mort et du voyage réapparaissent en 2006 dans l’ouvrage intitulé “In the Wake of a Deadad”, où Kötting convoque le souvenir de son père Ronald, mort à 65 ans, comme point de départ d’une réflexion philosophique et parfois pornographique sur la masculinité défaillante. À l’origine, il a envoyé quatre photographies de son père à 65 artistes, écrivains et amis, dont les réactions ont fait émerger dans leur ensemble la biographie terrifiante – parfois imaginée, parfois vraie – d’un homme violent au point d’enfermer un jour sa femme dans le congélateur.
Kötting a ensuite fait fabriquer des mannequins gonflables de son père et de son grand-père, qu’il a emmenés avec lui dans différents endroits – de la plage où le réalisateur a perdu sa virginité à une Fête des Morts mexicaine. Pendant le périple, le père gonflable sert de lit, de château-trampoline et de mémorial portatif. Le projet – en même temps livre, film, exposition et performances où Eden apparaît en costume de squelette – transforme ce qui aurait pu être un souvenir triste et déprimé en exorcisme ludique.
L’humour fait partie intégrante de l’œuvre de Kötting depuis qu’il a commencé à faire des performances, au début des années 1980. C’est un humour noir, à la Samuel Beckett. “Mon frère aîné était nain. Face à cela, soit on choisit le sérieux et l’engagement, soit on fonce à fond dans le dadaïsme ou l’absurde. Mais ce n’est pas l’absurde des Monty Python ou des Goons. Ce n’est pas du cirque, c’est plus profond que ça.”
Le dadaïsme maison qui anime les projets de Kötting – outre le fait qu’ils subissent différents remixages et métamorphoses – les rend difficiles à saisir. Mais c’est aussi ce qui fait leur charme ; ils laissent la place au hasard, évoluant sur la corde raide entre profondeur et absurdité. “Je ne sais pas toujours ce que je raconte,” reconnaît le réalisateur. “Ce n’est que pendant que je le fais que je touche au début du commencement d’une réponse.” Le comédien Stewart Lee renchérit : “Il n’est pas toujours évident, même une fois qu’Andrew a mené son projet à terme, de dire si c’était une œuvre d’art, un film ou un happening. Aujourd’hui, les consommateurs de la culture de masse s’attendent à recevoir des produits finis. J’évolue dans un secteur artistique de plus en plus commercial, le stand-up, et ça fait beaucoup de bien quand on vous remet les idées en place. Il n’y a pas une once de sophisme ou d’académisme. C’est un grand ambassadeur de l’art conceptuel.”
Kötting est également un grand ambassadeur de la collaboration en matière artistique. Qu’il travaille avec des membres de sa famille, des musiciens tels que David Burnand et l’ex-Pogues Jem Finer, le directeur de la photographie Nick Gordon Smith, le graphiste-maquettiste Julian Lesage ou l’écrivain réalisateur Iain Sinclair, Kötting peut piocher dans une réserve de partenaires fidèles et talentueux dont la bonne volonté lui permet d’être sans cesse productif avec des budgets qui feraient ricaner d’autres artistes. Comme le formule le réalisateur Ben Hopkins : “On finit toujours par se laisser embarquer à un moment ou à un autre. On intègre sa bande. Il travaille à l’ancienne, comme un artisan : tout ce qu’il vit pénètre dans l’univers qu’il utilise ensuite dans ses films.”
Aux yeux de Sinclair, son collaborateur dans le projet encore inachevé “Swandown” – une “absurde odyssée filmée” au cours de laquelle le duo parcourt des voies d’eau dans un pédalo en plastique en forme de cygne, de Hastings à Hackney, en guise d’anti-hommage aux Jeux olympiques de 2012 – Kötting devrait inspirer les artistes qui travaillent dans des conditions difficiles : “Ce que j’admire, dans son œuvre, c’est son entêtement dans sa folie propre, une énergie magique qui fait qu’il ne dépend pas des commandes.” Mais quand il rencontre des créanciers potentiels, tempère Kötting : “Je m’emballe carrément. Je me mets à poil, je fais tout pour les convaincre. Je suis un Benny Hill croisé avec un peu de Stan Brakhage – et un aussi un brin de Joseph Beuys.”
Son dernier film, “Louyre, notre vie tranquille” (This Our Still Life), est une étude approfondie de la vie rurale, moins loufoque que toutes ses œuvres précédentes. Intime sans tomber dans le narcissisme, c’est un “home movie” qui est tout sauf hermétique. D’une durée de seulement 59 minutes, il se déroule à Louyre, la ferme abandonnée des Pyrénées où Kötting est allé vivre en 1989 avec Eden et sa mère, Leila, et où il passe encore trois mois chaque année.
“C’est un endroit effrayant,” détaille Kötting. “Tout branlant, toujours sur le point de s’écrouler. Dans la montagne. L’humidité, la moisissure, les vers à bois, les horloges de la mort ; à cette époque, c’est ravagé par les orages et les tempêtes automnales, et bientôt ce sera le gel complet. Mais c’est aussi un refuge, une bonne planque, un endroit apaisant malgré sa dureté.”
Eden est au cœur du film. Aujourd’hui âgée de 22 ans, elle a vécu plus longtemps qu’aucun spécialiste ne le prédisait quand elle est apparue dans Gallivant. On la voit dessiner, peindre, jouer avec ses parents, chanter “Love Me Tender”. Des images tournées en Super 8 et en numérique la montrent à travers les décennies ; elle a parfois l’air fragile, elle est parfois pleine d’énergie et de joie. Le film veut arrêter le temps pour préserver Eden : comme Louyre, elle lutte chaque jour contre la ruine.
Pour Kötting, qui explique que Louyre, notre vie tranquille a commencé comme un journal de bord visuel amateur destiné à des amis proches après le difficile bouclage de son dernier film, Ivul (2009), l’œuvre se définit en partie grâce à la musique mélancolique de Robin Rimbaud : “C’est élégiaque, classique et douloureux. Quand Eden dessine, elle est heureuse et complètement dans ce qu’elle fait ; mais pour moi, ça reste intolérable. Ça peut rendre dingue de passer des heures au milieu de rien avec une jeune fille très handicapée. Tu essaies de trouver un sens à ta vie, à la sienne, et tu te dis : où est la justice ?”
Je demande à Kötting en quoi Eden a pu influencer sa vision artistique : “Quand elle est entrée dans ma vie, tout a changé. La patience, l’humilité, la douleur, la souffrance, l’amour de l’endurance : c’est à Eden que je dois tout ça. Cette situation est dévorante.
“Avec Eden, il faut vivre autrement. Le matin, il faut la sortir du lit et la motiver. Sinon, elle ne mange pas. Elle ne saurait même pas comment s’y prendre. Je suis son système d’assistance vitale. Mais elle est mon système d’assistance psychique.”
Biographie d'Andrew Kötting
Né en 1958 dans le Kent, le vidéaste Andrew Kötting se forme au College Of Art and Design de Ranvensbourne et à la Slade School of Fine Art de Londres, après avoir été bûcheron en Scandinavie. Au début des années 1980, parallèlement à la création de plusieurs performances filmées en 16mm, il réalise des courts-métrages expérimentaux couronnés par de nombreux prix et exposés en Europe et en Amérique du Nord dans plusieurs musées, parmi lesquels la Tate Modern, Tate Britain, l’ICA, le NFT et le Curzon de Soho.
En 1996, sort Gallivant, son premier long-métrage, récit d’un voyage de trois mois le long des côtes britanniques que le réalisateur a entrepris avec sa grand-mère, Gladys, et sa fille, Eden, atteinte du très rare syndrome de Joubert. Portrait sensible de ses liens familiaux, mais également de l’Angleterre excentrique des années 1990, Gallivant remporte à sa sortie un joli succès, obtenant notamment les prix du Meilleur Réalisateur du Channel 4/Edinburgh Film Festival et le Premier Prix du Golden Ribbon à Rimini (Italie).
En 2001, Kötting réalise son deuxième long-métrage, Cette sale terre (This Filthy Earth), adapté de « La terre » de Zola. Il aura sa Première au Festival international du film d’Edinburgh et reçoit le Digital Prize au Festival international du film d’Hambourg, en Allemagne.
Ne s’étant jamais éloigné de la performance et des autres médias, il achève en 2002 le projet « Mapping Perception » inspiré par sa fille Eden, où se mêlent cinéma, art et science.
Il continue à expérimenter avec le son et l’image et s’intéresse de plus en plus à un langage cinématographique élargi. Son projet multimédia « In the Wake of a Deadad » est une réflexion émouvante qui laisse souvent une impression de malaise, sur le décès de son père.
Ses œuvres ont fait l’objet de plusieurs rétrospectives et expositions, notamment au Festival International du Film de la Rochelle, au Curzon Soho de Londres en 2004, au Bristish Council de Shanghai et au Centre Pompidou à Paris en 2007.
En 2009, Andrew Kötting réalise Ivul, son 3ème long-métrage et le 2ème de sa trilogie de la terre, avec Jean-Luc Bideau, Aurélia Petit et Adélaïde Leroux. Le film connaît une belle carrière en festivals notamment en Angleterre, en Inde et à Locarno. Ivul existe également sous la forme d’une installation créée au Fresnoy en juin 2009 puis montrée à Hastings au début de l’automne 2009.
En 2010, Kötting est un des deux réalisateurs en résidence au Festival International du Film de la Rochelle, période pendant laquelle il travaille avec le photographe Sebastian Edge.
Louyre, notre vie tranquille (This Our Still Life) est un projet qui touche à plusieurs médias. Il s’agit d’abord d’un film sur la vie de la famille dans leur maison des Pyrénées françaises. Il existe aussi un livre regroupant les natures mortes dessinées par Eden lors de ces moments passés isolés en pleine campagne. Le film a été projeté dans le cadre du Festival Hors-Pistes au Centre Pompidou, mais aussi au NFT à Londres et dans la sélection Orrizonti du Festival de Venise 2011.
Le prochain projet d’Andrew Kötting, Swandown, est un voyage fait avec Iain Sinclair à bord d’un pédalo en forme de cygne. L’occasion de partir à nouveau à la rencontre de gens inconnus ou célèbres qui se révèlent tous extra-ordinaires.