Winnipeg mon amour
Un film de Guy Maddin
Avec Ann Savage, Louis Negin, Darcy Fehr, Amy Stewart
Canada, 2007, vostf, couleur et n/b, 79 min
Sortie en salles : 21 octobre 2009
Bonus :
Livret couleur 36 pages (discussion entre Guy Maddin et Michael Ondaatje),
carte de Winnipeg dessinée par Marcel Dzama,
deux courts-métrages ("Nude Caboose" et "Spanky"),
film institutionnel des années 50 sur Winnipeg ("This World of Ours")
Intertitres français, dialogues en anglais avec ou sans sous-titres français.
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universcine.com“Winnipeg mon amour” est un hommage doux-amer à la ville natale de Guy Maddin au Canada.
A propos du film
Ville des superlatifs, selon le réalisateur : la plus froide au monde, le plus petit parc du monde, la ville des somnambules, des magnétiseurs et des séances de spiritisme, une ville somnolente, habitée par les esprits.
C’est ainsi que la décrit à la première personne un narrateur fatigué, en la regardant défiler derrière la fenêtre d’un train.
Plongeant son regard dans le paysage délavé, il repense à son enfance, à l’histoire et à la topographie de sa ville.
Présenté en ouverture au Forum 2008 au Festival de Berlin , My Winnipeg est un film volontaire, profond et bouleversant.
Note d’intention
En 1888, William Cornelius Van Horne, une des figures des chemins de fer qui, à la stupéfaction générale, avait fait construire des voies ferrées à travers notre vaste pays, instaura à Winnipeg une tradition qui perdure aujourd’hui encore. Cette année-là, le premier jour d’hiver, Van Horne organisa une chasse au trésor dans toute la ville. Chaque résident de la jeune cité reçut une carte au trésor et fut invité à participer. Le premier prix était un aller simple hors de Winnipeg. Avec ce concours, Van Horne espérait secrètement que les Winnipegois, après avoir passé une journée entière à sillonner la ville dans ses moindres recoins, se rendraient compte que le véritable trésor était sous leurs yeux depuis le début : la ville elle-même. Le subterfuge de Van Horne en a convaincu plus d’un, moi le premier.
En tant que réalisateur ayant vécu 50 ans à Winnipeg, j’ai été à la fois enchanté, intoxiqué et asphyxié par ma ville natale. Elle a été ma muse bien avant que je prenne la caméra. Je suis tombé amoureux de cet endroit, non seulement pour ce que j’en ai connu et aimé, mais également pour ce qu’il a été, et qu’il pourrait redevenir ! Tel un soupirant insouciant et irrationnel, j’ai fondé tous mes espoirs sur cette ville, pour avoir en retour le cœur brisé par l’impitoyable cours “progressiste” qu’elle s’échine à prendre, délaissant inexorablement son charme passé et tombant dans l’oubli insipide et la médiocrité auxquels elle aspire. Mes espoirs brisés, j’ai grandi avec d’amères désillusions sur ma ville natale.
Mais avant de fuir, je dois, par pure délectation nostalgique, passer en revue tout ce qui a compté pour moi dans ce monde autrefois merveilleux et enchanteur, car il n’est pas d’endroit plus singulier dans toute l’Amérique du Nord, ni partout ailleurs !
Je parcourrai une dernière fois les rues de Winnipeg – mon Winnipeg – et situerai pour le spectateur les sites magiques qui me sont chers, ceux qu’il suffit de désigner du doigt pour que jaillisse le passé, telle leau d’un puits artésien.
Une atmosphère étrange, propre au rêve, se dégage de ce lieu où les piétons préfèrent emprunter les allées que les rues officielles ; où nos sans-abri se cachent en masse sur les toits de gratte-ciel abandonnés ; et où un curieux décret municipal nous impose d’accueillir, une nuit durant, tout ancien propriétaire ou locataire de notre logement.
En me faufilant à travers les berceaux mêmes de ma mythologie personnelle, en tâchant de comprendre la nature même de la mémoire, bien que ce qu’elle fabrique s’avère être un Winnipeg illusoire, et en bravant, à travers une série d’étranges expériences domestiques, le pouvoir possessif de ma propre famille, je parviendrai peut-être à me libérer des forces mystérieuses qui attachent de manière occulte le cœur de bien des hommes à leur passé. Je parviendrai peut-être enfin à trouver la véritable signification du mot “chez-soi”, et à faire tomber les chaînes qui m’en font prisonnier.
Guy Maddin
Interview de Guy Maddin
La transcription suivante est extraite du Canada’s Top Ten présenté par le Toronto International Film Festival Group. L’interview complète est disponible en anglais sur le site www.topten.ca.
Quelle est la genèse du film ?
C’est une genèse plutôt étrange. Je me revois, ces deux dernières décennies, jurant chaque année sur la Bible que jamais, au grand jamais, je ne ferais de documentaire. J’avais bien trop de respect pour la discipline de fer et les nombreuses recherches auxquelles se plie le documentariste pour pouvoir faire preuve d’une telle ouverture d’esprit. C’est aux antipodes de ce que je fais, car mes créations ont toujours été des choses folles, romantiques et passionnées qui servent mes délires et mes obsessions personnelles. Je suis la dernière personne à qui on demanderait de faire un documentaire.
J’ai cependant réalisé My Dad Is 100 Years Old, un docu-fantaisie à la mémoire du père d’Isabella Rossellini, financé par la chaîne canadienne The Documentary Channel. On peut dire que cette lettre d’amour était un documentaire, au sens le plus large qu’on puisse imaginer. J’ai alors entendu dire que le directeur des programmes, Michael Burns, se demandait si je serais intéressé par l’idée de réaliser un documentaire long métrage.
J’ai refusé, pour les raisons que je vous ai données, jusqu’à ce que la motivation ultime – la pauvreté – vienne frapper à ma porte. J’ai donc demandé à mon producteur, Jody Shapiro, le numéro de téléphone de Michael Burns.
Ce dernier n’a jamais dit si la rumeur était fondée ou non, il m’a juste demandé : “Êtes-vous intéressé ?” J’ai répondu : “Oui.” Lui : “Que voulez-vous faire ?” J’ai répondu que je ne savais pas, que je préférais qu’il m’impose des choses car je n’avais pas vraiment d’obsession dévorante. Alors il suggéra deux thèmes : les trains et Winnipeg. Il n’était allé à Winnipeg que deux fois dans sa vie, et fut ravi de chaque visite. La première fois, c’était pour escorter un train du 19e siècle en Alberta pour le film de Terrence Malick, Les Moissons du ciel, à l’époque où il devait être assistant de direction, je suppose. La seconde, pour voir le théâtre où j’avais tourné avec Isabella My Dad Is 100 Years Old. Je comprends que dans l’obscurité du théâtre, les doux murmures suaves d’Isabella en italien et en scandinave l’aient ravi. Il m’a alors dit : “Enchantez-moi avec votre traitement de Winnipeg mon amour.”
J’ai décidé de laisser tomber l’idée des trains. Je me suis dit que j’allais parler de Winnipeg car c’était l’occasion de mythifier cette ville, ce que je m’étais déjà efforcé de faire dans mes fictions précédentes. Le producteur m’a dit : “Epargnez-nous le portrait du trou paumé dans le froid.” Autrement dit, on m’avait engagé pour faire un documentaire propagandiste sur Winnipeg. C’était encore plus exaltant car je n’avais pas à être objectif ou désintéressé… ce genre de choses. Je devais néanmoins faire tout ce que doit faire un documentariste, et découvrir mon sujet au cours du montage. J’ai voulu tricher en écrivant un scénario, mais tout est passé par la fenêtre.
Aviez-vous des défis à relever en tournant ce film ?
Il y a de sacrés défis à relever quand on réalise un film dont le sujet nous est trop familier. J’ai toujours vécu à Winnipeg. Quand l’annonce du tournage a commencé à s’ébruiter, mes amis, des connaissances, et même de parfaits étrangers sont venus me raconter des histoires passionnantes. Je me suis mis à consigner les divers faits et anecdotes dans un carnet, tout en gardant à l’esprit que je voulais faire quelque chose de simple, qui dure 75 minutes, et sans abuser de l’hospitalité de mes hôtes. Je voulais réaliser un film sur ce que Winnipeg représentait pour moi, mais je me suis rendu compte que j’avais assez de matière pour tourner toute une série, une sorte de Winnipeg Alexanderplatz. Il fallait donc vraiment que je fasse des choix, même si je savais qu’il y aurait des Winnipegois prêts à regarder 16 heures d’étude sur Winnipeg, ses mythes enivrants et ses menus détails. Je voulais quelque chose de concis, sachant pourtant qu’il est très difficile de donner l’impression que chaque chose est à sa place. Heureusement, mon producteur, Jody Shapiro, qui est aussi directeur de la photographie, avait de l’expérience en tant que réalisateur de documentaire, et mon monteur est quelqu’un de très intelligent. On se réunissait et on mettait en place différentes stratégies, mais c’était difficile car je ne savais pas où je mettais les pieds.
Comment le film s’est-il construit ?
J’ai commencé par écrire le scénario, espérant pouvoir faire, comme pour une fiction, quelque chose d’assez concis, et dont le montage serait rapide. Mon monteur, qui venait justement de terminer un documentaire, s’était juré que ce serait le dernier. Il ne se voyait pas passer une année entière sur un montage interminable, alors je me suis mis à l’écriture du scénario. Mais comme c’est un travail où l’on s’égare toujours un peu, j’ai cru bon d’inclure des éléments de ma propre enfance et des reconstitutions d’épisodes familiaux, parfois anodins, et parfois mémorables. Je me suis senti obligé de le faire pour une simple et bonne raison : si je devais dresser le portrait de ma ville natale, il ne pouvait s’agir que de mon Winnipeg. Une étude objective de Winnipeg n’aurait pas le même attrait.
J’ai toujours été sous le charme de cette ville qui, en fin de compte, n’est pas vraiment une ville, mais un chez-soi. Je devais donc parler de mon chez-moi littéral, de ma maison, la maison de mon enfance. La ville, le chez-soi, la maison, et la famille par extension, tout cela s’est entremêlé, cristallisant une pensée et un ressenti. J’ai donc instinctivement commencé à écrire des histoires sur ma chambre, ma tante, ma grand-mère… Mais c’était prendre le risque de faire quelque chose d’incroyablement narcissique. Je me suis alors dit que si j’entrais dans la peau de l’éternel narrateur passionné donc peu fiable, une sorte de personnage dostoïevskien habitant à Winnipeg, il pourrait y avoir un intérêt à la chose, d’un point de vue pathologique tout du moins.
Le casting
La question du casting… Dennis, un ami, m’avait écrit pour me dire qu’il s’était marié, et pour me demander de mes nouvelles. Je lui ai parlé de ma commande, et notamment du fait que je regrettais qu’Ann Savage, l’incarnation de la femme fatale dans Détour, film réalisé en 1945 par Edgar G. Ulmer, ne soit plus de ce monde pour interpréter ma mère. Vera, son personnage, est la plus farouche femme fatale de l’histoire du cinéma. Bette Davis n’avait qu’à bien se tenir. Je disais cela en plaisantant, bien sûr. Mais Dennis me dit : “Elle est en vie, elle était présente à mon mariage. J’ai son numéro de téléphone. Tu n’as qu’à l’appeler et lui demander de jouer dans ton film.” Je suis allé sur le site d’IMDB où j’ai lu qu’elle s’était retirée de la profession en 1955, après avoir joué avec Cesar Romero dans une pièce de théâtre diffusée à la télévision. Elle n’avait rien fait depuis.
J’ai demandé à Dennis de l’appeler et de lui passer de la pommade. J’ai pris mon courage à deux mains pour appeler cette redoutable femme. Elle était de fort mauvaise humeur le jour où j’ai finalement réussi à la joindre. Elle s’exprime encore comme une dame des films noirs des années 1940. Je lui ai dit : “Je comprends que vous soyez nerveuse à l’idée de vous retrouver à nouveau devant les caméras.” Elle m’a répondu : “Cela ne m’impressionne guère. Je n’ai jamais vraiment quitté le cinéma. Je vais tous les jours au cinéma. Je fais partie du cinéma.” C’est une femme de caractère qui occupe tout l’espace, où qu’elle soit. Elle est charmante. Nous sommes devenus amis. Elle a toujours une anecdote à raconter sur l’Hollywood d’antan. Elle m’a montré sa collection de revolvers cachée sous son lit. J’ai passé de très bons moments en sa compagnie. Elle interprète ma mère dans le film, mais la plupart des gens présument qu’elle est ma mère dans la vie.
Pourriez-vous nous parler de l’aspect visuel du film ?
Cela nous a pris beaucoup de temps. Nous avons tourné un certain nombre de reconstitutions en utilisant, pour la plupart, la projection par transparence, en mêlant scènes avec acteurs et séquences d’archives que nous avons ensuite montées. Sans prétendre vouloir duper qui que ce soit, nous avons audacieusement intercalé des reconstitutions, des images d’archives, des photos et de l’animation. Bref, tout y est passé. C’était d’ailleurs parfaitement en accord avec Winnipeg qui a toujours été une ville faite de bric et de broc : de vieux paysans ou leurs fantômes continuent d’errer sans but, colportant des chiffons à bord de leurs carrioles ; un brocanteur descend les allées sur sa charrette tirée par un cheval. Une seconde, on le voit, la seconde d’après, il disparaît – on ne sait jamais vraiment ce qui se passe à Winnipeg. La ville est un véritable blizzard empli de fragments d’histoires en lambeaux, qui souffle sur le passé, le présent et peut-être même le futur.
Un an après le tournage, j’étais dans une chambre d’hôtel à Los Angeles et je regardais la chaîne TCM. Ils passaient un vieux film avec Sherlock Holmes, qui se déroulait entièrement dans un train. Plus je le regardais, plus je me rendais compte à quel point les trains faisaient partie intégrante de Winnipeg. Le directeur des programmes m’avait d’ailleurs imposé ce thème, entre autres. J’ai alors décidé de faire un film plus cohérent, dont le fil rouge serait une longue traversée de la ville en train, avant de la quitter pour toujours.
Je trouvais que les trains avaient trait au rêve – le train du rêve – et je voulais que ce soit un voyage de nuit hors de la ville. Cela me permettait par la même occasion d’avoir une échappatoire/excuse/stratégie par rapport au son : des trains s’accouplant, divorçant, s’accouplant à nouveau, puis divorçant à nouveau… Ces sons rythmeraient le cours de ma vie affective. Jody, mon producteur, n’était pas enchanté par le fait que je décide subitement, un an après avoir tristement fêté la fin du tournage, de recréer un plateau, de recharger les caméras, d’embaucher de nouveaux acteurs, et de me replonger quelques jours dans le film. Mais je suis très heureux de l’avoir fait, j’ai pu ainsi improviser de nouveaux plans.
La presse
Winnipeg mon amour est prétexte à des saynètes drôles et magiques autant qu’au culte de la mélancolie, ainsi qu’à des feux d’artifice visionnaire de toute splendeur.
Le Monde
Entre autobiographie onirique et documentaire fantasmatique, l’un des films les plus envoûtants du cinéaste canadien.
Les Inrockuptibles
A la fois fétichiste, baroque, étouffante, sensuelle et moribonde, cette entreprise de réminiscence cinéphage jette un éclairage troublant mais révélateur sur la singulière filmographie de cet auteur hors norme.
Positif
La grande oeuvre charnière du cinéaste.
Cahiers du Cinéma
Jamais retour à la matrice n’aura été aussi beau. Avec cette ode à sa ville natale, Winnipeg, Guy Maddin filme un cauchemar brouillé de neige, de nuit, de légendes et de souvenirs. Du cinéma puissant, tendre, drôle et visionnaire.
Arte
On est embarqué dans une étrange odyssée en noir et blanc. Guy Maddin nous transporte ailleurs avec de la poésie, de l’humour, du social. C’est vraiment le bonheur avec Guy Maddin.
France Inter – Cosmopolitaine
Guy Maddin nous plonge dans une nébuleuse narrative faite de souvenirs concrets, de détournements inspirés de la manière mémorielle et de débordements imaginaires.
Studio Ciné Live
Voir un film de Guy Maddin reste une expérience sensorielle unique que tout cinéphile devrait tenter dans sa vie.
Brazil
Dans un noir et blanc de conte de fées nébuleux, une fantasmagorie baroque.
Beaux Arts
Un film magnétique, onirique, profond et drôle.
Le Canard Enchaîné
Brillant et enchanté, personne ne réalise des films comme Guy Maddin! Le cinéaste signe avec Winnipeg mon amour son opus le plus délicieux. Une fantaisie documentaire drôle et étrangement touchante.
Vogue
Une fable documentaire onirique et sublime. Une vision intime et fantasmée de Winnipeg soulignée par une nostalgie poignante.
D-Side
Plonger dans son univers, c’est ouvrir une porte, celle de l’enfance, des souvenirs, du rêve, mais aussi du fantasme et de l’érotisme.
Mouvement
Savoureux numéro d’équilibriste d’un auteur prêchant le vrai pour sublimer le faux. Beau et barré à la fois. Ce canadien trop méconnu relègue David Lynch au rang de cinéaste plan-plan.
L’Express
Regarder un film de Guy Maddin, c’est embarquer pour un voyage extraordinaire à travers le cinéma : magie du noir et blanc, mélange du muet et du sonore, va-et-vient entre expressionnisme et surréalisme.
Le Figaro
Etrange, poétique, cruel et délirant… le cinéma de Guy Maddin est une expérience qui ne saurait laisser indifférent. En une poignée de films magistraux, Guy Maddin s’est imposé comme le cinéaste le plus barré du Canada, et peut être bien du monde entier.
Fluctuat
Un «documenteur» drôle, triste et énigmatique. Une œuvre unique et somptueuse, orchestrée par un magicien de l’image.
Excessif/DVDrama
Le réalisateur canadien érige sa ville au rang d’héroïne, dans un film qui devrait séduire les amoureux de Guy Maddin, intriguer les amateurs de grands espaces, les cinéphiles en quête de formes documentaires nouvelles, ainsi que les nostalgiques des atmosphères à la Murnau…
Culturopoing
Vous n’aurez plus aucune excuse pour ne pas vous plonger dans l’univers baroque et poétique de ce cinéaste unique dont les films laissent une trace indélébile sur les sens et l’âme.
Dissidenz