Les Secrets des autres
Un film de Patrick Wang
The Grief of Others - États-Unis - 2014 - 1h43 / couleur - image : 1.66 - son : 5.1
Sortie en salles : 26 août 2015
BONUS :
- Interview de Patrick Wang par UniversCiné
- Bandes annonces
USA - 2014 - fiction - couleur
Durée du film : 1h43
Format image : 16/9 compatible 4/3 - 1.66
Format son : 5.1 - stéréo
Film en version originale anglaise avec ou sans sous-titres français
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universcine.comAdapté d’un roman de Leah Hager Cohen salué par la critique américaine, Les Secrets des autres raconte l’histoire d’une famille hantée par un destin tragique. Une visite inattendue va à la fois rouvrir des blessures enfouies, et offrir une voie de sortie à ce deuil irrésolu.
Festivals
Festival de Cannes 2015
Programmation ACID
Festival International du Film de La Rochelle 2015
Interview Patrick Wang
Comment avez-vous découvert le roman de Leah Hager Cohen, The Grief of Others ?
J’ai rencontré Leah il y a quinze ans. Je jouais dans une pièce et elle écrivait un livre sur sa mise en scène. Nous nous sommes beaucoup vus à l’époque : aux répétitions, aux interviews qu’elle menait à l’heure du déjeuner, aux soirées entre acteurs que j’organisais chez moi. Puis elle est repartie aussi vite qu’elle était arrivée. Un an plus tard, j’ai trouvé un exemplaire de son livre, The Stuff of Dreams, sur le pas de ma porte. Puis j’ai appris qu’elle écrivait des romans, et nous nous sommes revus après plus de dix ans, à l’occasion d’une lecture de son quatrième livre, The Grief of Others.
Comment vous est venue l’idée d’adapter ce roman pour le cinéma ?
J’ai lu et aimé tous les romans de Leah, mais c’est le premier qui m’a fait me poser cette question : pouvait-il exister en tant que film ? Le théâtre est la passion de Leah, par conséquent des moments clé du roman étaient déjà présents dans l’espace dramatique, sous forme de scènes de théâtre. C’est ce qui a été le plus facile à transposer. La structure temporelle complexe du roman, sa nature en général et l’orchestration attentive de la façon dont se révèlent les personnalités et les histoires posaient un défi sur le plan de la transcription. Le pari était tentant et l’intention sous-jacente à l’histoire profonde. Leah est très attentive à la beauté cachée des autres et à leurs peines. Pour les aider dans leur isolement, elle a des idées originales et sincères à leur proposer.
Leah a-t-elle participé à la création du film ?
Nous avons échangé durant tout le processus, et cet échange a été l’une des grandes joies de ce projet. J’ai fait l’essentiel du travail sans elle, puis je le lui ai soumis. Le script était probablement l’étape la plus importante. Nous avons d’abord envisagé de l’écrire à quatre mains, puis je me suis dit qu’il serait plus simple de lui proposer une première version, quitte à tout reprendre ensemble si celle-ci ne lui plaisait pas.
Le script que je lui ai présenté était plutôt atypique et risqué. Leah m’a posé de très bonnes questions. C’était également celles que je me posais en tant que réalisateur, et seul le tournage pouvait nous donner des réponses. Ces questions ont été la raison d’être du film. Leah a été assez généreuse pour accepter les risques et déclarer que l’esprit de son roman et ses personnages subsistaient et grandissaient sous cette nouvelle forme.
Quelles influences vous ont porté pour Les Secrets des autres ?
Il y a par exemple ce film de Peter Fonda, L’Homme sans frontière. Il est magnifique, de ces œuvres qui redonnent vie à des parties de vous jusque-là oubliées. C’est un exemple à plusieurs titres : son élégante complexité, son montage évocateur sur le plan psychologique, son incroyable créativité. J’en ai parlé à mon équipe de création, moins comme référence à des techniques particulières que pour l’esprit qui l’habite.
L’action de notre film se déroulant à Nyack, nous avons aussi cherché l’inspiration du côté de l’artiste Edward Hopper. L’humour qui caractérise ses esquisses et l’intimité qui se dégage de ses peintures nous ont beaucoup guidés. J’ai également appris de merveilleuses techniques pour contrôler la couleur sans restreindre la gamme.
Il me faut aussi mentionner la grande influence qu’ont eue les nouvelles d’Alice Munro sur le script. Elles montrent avec beaucoup de sagesse comment illuminer une vie à travers de surprenantes ruptures temporelles. Elles m’ont encouragé à faire preuve d’audace dans la structure temporelle du film.
Pourquoi avez-vous choisi de tourner en super 16 mm ?
Il y a une quantité de raisons que l’on peut regrouper en trois catégories : l’esthétique, le medium et la logistique. Je pourrais parler indéfiniment de chacune d’elles, mais je m’en tiendrai à quelques exemples.
Dans ce film, le grain et la couleur de la pellicule sont des outils esthétiques importants. Avec une pellicule super 16 ordinaire, même en utilisant des objectifs plus anciens, j’ai l’impression d’obtenir une netteté suffisante. Mais plus important encore, le grain me permet de me servir de la netteté comme d’un outil. En ayant recours de temps en temps à des agrandissements et en insérant des scènes tournées en super 8 ,les différentes grosseurs de grain deviennent un outil dynamique produisant des effets psychologiques très subtils. Dans l’univers numérique, cet outil n’existe pas.
La cohérence de la couleur est un élément essentiel dans ce projet. Pour ce film, qui comporte de nombreux personnages ainsi que plusieurs techniques, et dont la conception artistique comporte une large palette de couleurs, il fallait une force esthétique pour faire contrepoids et lier le tout. L’harmonie des couleurs obtenues grâce à la pellicule permet de créer cet effet de cohérence de l’ensemble. La couleur de la pellicule me paraît plus ancrée, plus stable et plus facile à mettre au point que la couleur numérique. Même quand nous avions un lavis de couleur sur une séquence en noir et blanc, nous filmions un bout de tissu coloré et surimposions cette pellicule de couleur capturée sur la séquence plutôt que d’utiliser des teintes numériques.
La pellicule et le numérique sont deux mediums de prise de vue impliquant deux méthodes de travail différentes. J’ai l’impression que le numérique tend vers la prolifération et la pellicule vers la préméditation. Le premier devient concret sur un moniteur, et l’autre en regardant le sujet à travers la caméra. Il me semble que les différences d’état d’esprit entre ces modes d’expression sont immenses. Elles peuvent mettre en évidence les différentes facettes d’un artiste. Mon style d’écriture diffère si j’utilise une machine à écrire manuelle ou un ordinateur, ou encore si j’écris à la main. Je me sers de tous ces outils, mais je choisis soigneusement quelle tâche convient à quel medium. Filmer avec de la pellicule convient à ce projet.
Pour ce qui concerne la logistique, mon chef opérateur, Frank Barrera, et moi avons pensé que le tournage serait plus rapide et plus facile avec la pellicule. Elle permet de capter une large variété de lumière sans agencement technique complexe. Frank pouvait simplifier les dispositifs d’éclairage et laisser agir la pellicule. L’équipe est plus réduite parce qu’avec le super 16 mm, il peut filmer et mettre au point en même temps. J’aime bien être limité par la quantité de pellicule dont nous disposons parce que c’est une représentation concrète du temps qui nous reste. Et j’aime aussi avoir la certitude que le laboratoire enverra des rapports négatifs.
Pour finir, en plus de tout ça, j’étais curieux. Je n’aurais jamais su ce que c’était de tourner avec de la pellicule si je ne l’avais pas fait un jour.
Quels défis avez-vous dû relever pendant ce tournage ?
Le tournage était court : deux semaines en tout, douze jours effectifs. Je savais que c’était possible. J’avais tourné mon premier film, In the Family, en trois semaines. Ce film comportait moins de séquences, était plus simple à tourner car je ne jouais pas dedans, et j’aime à penser que je suis plus efficace qu’avant. Néanmoins, je savais qu’il me faudrait de l’énergie et de la concentration pour tenir douze longues journées de travail. Il était essentiel que je m’entoure d’une équipe compétente et motivée. La préparation était essentielle. J’ai tout planifié avec les équipes de création et de production pendant six mois. J’ai beaucoup fait répéter les acteurs. Et finalement, le fait de tourner en douze jours a eu le grand avantage de m’obliger à garder en tête l’ensemble de ce film complexe. Même à la toute fin, notre premier jour de tournage ne remontait qu’à une semaine. Cela a apporté de la cohérence au film, tout en empêchant une dérive esthétique.
Comment avez-vous créé les dioramas qui apparaissent dans le film ?
Je trouve que c’est une belle récompense pour les directeurs artistiques qu’une personne ayant vu le film pense que nous avons trouvé ces dioramas et avons créé le film autour d’eux. Le personnage qui invente ces dioramas est tiré du livre de Leah. Et bien qu’il soit un personnage clé dans le roman, et que son histoire y soit plus développée, je pense que son travail et son esprit occupent une plus grande place dans le film. J’avais l’impression que notre film était dans la même optique que ses dioramas : partir d’éléments simples de la vie quotidienne et tenter de les métamorphoser par l’angle sous lequel ils sont montrés, par la perspective donnée à chaque scène. L’esthétique des dioramas s’est ainsi propagée à l’ensemble du film. Les objets eux-mêmes ont été créés avec beaucoup de soin par Danny Madden et Owen Hope. Comme pour le reste du film, ces derniers se sont d’abord inspirés du roman, puis se sont laissé porter par leur propre créativité. Je me souviens encore du moment où nous sommes arrivés à l’une de nos principales trouvailles pour les dioramas. Nous avons littéralement ajouté une dimension aux descriptions du roman. Danny et Owen ont commencé par chercher les boîtes originales qui contiendraient les dioramas, afin de trouver l’inspiration pour créer l’intérieur. Puis, au fil de nos discussions sur les boîtes et les scènes qu’elles contiendraient, nous sommes tombés amoureux d’un concept. Cet artiste aurait la spécificité de créer des scènes en trois dimensions, différentes des dioramas classiques. Il en ferait des scènes de théâtre dont l’histoire se répandrait dans le monde extérieur.
L’utilisation des surimpressions est inhabituelle dans ce film. Pourquoi les avoir employées ?
Les surimpressions font partie d’une catégorie plus large de moments que je j’appelle les “supers”. Parfois, il s’agit de la superposition d’une image sur une autre, parfois de la superposition du son sur une image. Ce qui est un peu inhabituel c’est que ces “supers” peuvent apparaître à un endroit précis du cadre de l’image ou durer un certain temps. Par exemple, nous avons l’habitude des surimpressions visuelles, mais pas si elles durent vraiment longtemps. Ni non plus de longues surimpressions faisant apparaître une scène totalement différente. Mais je me suis aperçu que ces superpositions étaient très utiles pour m’aider à accéder aux espaces psychologiques des personnages et aux histoires qui les habitent. C’est une chose que le roman réussit particulièrement bien, et je me suis dit qu’il nous fallait inventer une technique pour faire aussi bien. La technique peut être un moyen très efficace pour mieux connaître un personnage et la relation avec l’instant présent est beaucoup plus forte lorsqu’on ne quitte pas complètement cet instant présent. C’est aussi une façon très mystérieuse d’en savoir plus sur quelqu’un et, dans un film sur la difficulté d’apprendre à connaître quelqu’un, je pense qu’il est essentiel de conserver ce mystère, même lorsque nous avons de nouvelles informations.
Comment avez-vous trouvé votre style pour Les Secrets des autres ?
Le style est la conséquence de la compréhension qui émerge à mesure que l’on imagine les scènes. Je sens de quoi la scène a besoin, je saisis sa charge émotionnelle et son flot d’informations, je développe une stratégie pour respecter au mieux ces éléments puis, en voyant la scène une fois montée, je fais les ajustements nécessaires. Parfois, un plan sera plutôt classique. A d’autres moments, je vais suivre ma propre idée. Peu à peu, des schémas commencent à émerger à travers les scènes, et j’essaie d’élargir ma compréhension du film, puis d’ajuster ici et là afin que le mouvement d’ensemble soit cohérent. Si je garde l’esprit ouvert tout au long de ce travail, aucun nom ne pourra qualifier de manière précise mon style de réalisation. Le style ne m’appartient pas, il appartient au film. Et ce film, si je réussis mon entreprise, se trouve doté d’une vie propre.